Nous avons interviewé Constructo

Vous connaissez probablement déjà Constructo, il s’agit d’une entreprise qui conçoit des skateparks en France pour les communes. Il se peut même que vous aillez déjà skaté l’un de leur skateparks car ils ont dessiné la moitié des skateparks du pays. Nous avons voulu en savoir plus sur leurs activités et leur avons demandé de répondre à quelques questions durant ce confinement, c’est avec plaisir qu’ils ont accepté cette inteview. Nous publions ainsi la première interview du site, qui fera partie d’une série d’entretiens (appelée Thrash Talk) et que nous publierons régulièrement sur SKATE GANG. Voici donc l’interview de Lauris, Stéphane et Samuel de chez Constructo skateparks:

POUVEZ-VOUS NOUS DIRE QUI VOUS ETES ET CE QU’EST CONSTRUCTO?

Constructo c’est formellement une agence d’architecture, enregistrée à l’ordre des architectes, et aujourd’hui la seule agence d’architecture spécialisée dans la conception de skatepark. Ça ne veut pas pour autant dire que nous considérons comme les seuls concepteurs valables de skatepark. Cependant, nos différents parcours à tous pèsent quand même dans la balance lorsqu’il s’agit de faire de la maîtrise d’œuvre publique. Un peu moins formellement, on est un collectif de trois skaters, différentes générations de skaters, toujours actifs sur nos planches partageant une passion commune, associés dans l’envie de participer au développement du skate en France, en Europe et dans le monde.

COMMENT TOUT CELA A-T-IL COMMENCE? ET POURQUOI AVOIR CREE CETTE SOCIETE ?

L’agence a été créée par Samuel et Stéphane qui se sont rencontrés sur les bancs de l’école d’architecture. Tous les deux skaters, ils ont fait en sorte de répondre à un problème qui leur paraissait important : le manque de skateparks de qualité en France. Ils ont commencé les études de skateparks pendant leurs études d’architecture, et une fois sortis de l’école ils ont structuré tout ça sous la forme d’une SARL. 

Lauris : Je suis arrivé en 2012 juste à la sortie de mes études, c’était une période où l’activité des skateparks (architecturés) était en pleine explosion. Après avoir fait quelques passages à l’agence sous la forme de stage, il a été naturel à ce moment que j’intègre l’agence.  

EN QUOI CONSISTE PRECISEMENT VOTRE JOB ?

Lauris : On est une agence d’architecture. On fait ce qu’on appelle de la maîtrise d’œuvre, c’est-à-dire tout ce qui touche à la conception de projet, leur suivi aussi lors de la réalisation concrète, et tout ce qui est accompagnement du client (généralement les villes). Personnellement j’interviens la majeur du temps en phase « études ». J’interviens lors des réunions de commencement des projets, rencontre avec les pratiquants, puis ensuite sur le dessin de l’esquisse au projet final avec tous les détails. J’interviens également sur certains projets pour du suivi de chantier, où là il s’agit d’aller sur place constater l’avancement des travaux, faire des comptes-rendus, s’assurer du planning, viser les factures des entreprises, en gros gérer le suivi administratif et financier d’un projet. On a tous un peu des tâches qui nous sont attribuées et ça s’est fait plutôt naturellement, Samuel a aussi un gros rôle dans la conception, pas mal d’administratif et un peu de chantier également, et Stéphane a fait beaucoup de suivi chantier ces derniers temps, plus quelques suivis d’études sur des beaux projets notamment du côté de Toulouse. Enfin on essaie d’intervenir tous ensemble quand c’est possible sur la réception finale du projet afin de skater et tester le skatepark en grandeurs nature. 

QUELS SONT LES FREINS MAJEURS QUE VOUS RENCONTREZ LORSQUE VOUS TRAVAILLEZ SUR UN NOUVEAU PARK ?

Une des principales contraintes est le site, l’emplacement du skatepark en lui-même. On intervient généralement sur des sites vierges d’interventions humaines précédentes, mais la nature impose déjà pas mal de contraintes. Des contraintes liées au dénivelé (comme à Annecy par exemple), des contraintes liées aux eaux souterraines et les nappes phréatiques qui du coup nous empêchent de creuser pour faire des bowls ou ditchs, des contraintes liées aux végétaux sur place (généralement on essaie de ne pas couper d’arbres, on va tout faire pour les intégrer au projet). Il y a une contrainte qu’on ne peut pas écarter et qui est le budget alloué au skatepark. Comme on dit « l’argent est le nerf de la guerre ». Il ressort souvent que le programme des pratiquants est plus ambitieux que le budget alloué par la ville. C’est là où il faut faire des compromis sur les formes demandées, peut être voir aussi sur les possibilités qu’a la ville pour étendre un peu le budget, etc…

EN FRANCE ON MELANGE SOUVENT LES PRATIQUES ET LES PARK DEVIENNENT VITE INVIVABLES POUR TOUS, ALORS QU’ON SEPARE BIEN LES TERRAINS DE FOOT, TENNIS ET BASKET. EN NORVEGE OU AU DANEMARK, LES VILLES CONSTRUISENT DES PARKS POUR TROTTINETTES, ET A UN AUTRE ENDROIT DIFFERENT, DES PARKS SKATE, IDEM POUR LE BMX ET LES GENS NE SE MELANGE PAS. AVEZ-VOUS DEJA EU CETTE APPROCHE DE CONSEIL POUR LES MAIRIES EN PROPOSANT DES LIEUX SEPARES AVEC DES CONSIGNES PRECISES ET DES INTERDICTIONS?

Il est vrai qu’en France rares sont les skateparks uniquement réservés au skaters. On en a un exemple à Marseille (La Friche) qui est un park géré par une association de skate très active (BSM) et seul le skate est autorisé. Pour compenser, on a réalisé une extension quelques années plus tard, plus ludique pour les kids en trottinette et rollers. Dans la plupart des cas les villes veulent contenter le plus grands nombres de personnes en ne réalisant qu’un seul équipement. Forcément tous les « sports de glisse » sont mis dans le même sac : skate, BMX, trottinette, roller, alors qu’il s’agit en effet de pratique différentes notamment au niveau des formes utilisées. Quand des comités de pratiquants sont réunis (généralement à l’initiative des villes), toutes les disciplines sont réunies, il s’agit alors pour nous de faire le tri et essayer de contenter tout le monde dans la mesure du possible. Parfois les projets sont plus portés par des skaters, parfois plus par des BMX, parfois il s’agit juste d’un groupe de kids en trottinette… mais ces concepts ne s’appliquent pas qu’aux skateparks, les city stades sont aussi des terrains de sports multi pratiques… Il est sûr que dans l’idéal, un park par pratique serait le mieux, cependant dans la réalité, la plupart des villes n’ont pas les capacités financières pour faire ça. Dernièrement on a été sélectionné pour la rénovation du skatepark de Montpellier où là il a été de convenu de faire un streetpark, un bowl, un trotti-roller park, et un BMX park, mais là encore une fois le budget n’est pas celui de la plupart des communes en France. On essaie quand on peut de proposer à côté du park un espace plus « kids » pour éviter que des hordes de gamins en trottinette envahissent les parks, mais ça n’est pas toujours réalisable quand on additionne toutes les contraintes.

LES FRANÇAIS AIMERAIENT DEVENIR CHAMPIONS DU MONDE DE SKATE MAIS QUAND ON COMPARE NOS PARKS AVEC CEUX DES US, BRESIL, CANADA OU AUSTRALIE, IL Y A UNE SACREE DIFFERENCE ET CELA NE CHANGE PAS VRAIMENT AVEC LE TEMPS. POURQUOI CETTE TENDANCE ? 

Il est vrai que pas mal de parks en France sont plus adaptés à une pratique quotidienne qu’à une pratique sportive élitiste. Cela est souvent dû au programme qui est demandé par la ville, ça doit convenir à tous (toutes pratiques et tous niveaux confondus). Cela vient aussi probablement de notre pratique personnelle qui est plus de l’ordre du loisir que du sport, mon attrait personnel à la compétition est assez limité. Cependant je pense qu’on a quand même en tête que des spots plus gros relèvent le niveau des pratiquants, les kids apprendront à dropper une courbe d’un mètre de haut et dans quelques mois ils viendront tâter la margelle du pool (bien plus rapidement que ce qu’on a pu évoluer quand on a commencé le skate, de part internet, les écoles de skate, etc…). Faire de gros spots nécessite aussi généralement de gros budgets, ou alors il faudrait faire qu’un gros spot (pool, gros bowl, gros set de marches, etc…) et il est vrai que ça va un peu dans le sens inverse de la polyvalence. Mais je dois dire que ces dernières années ça a pas mal évolué, notamment à travers des projets comme Marignane, Montpellier qui est en cours, Perpignan, Luxembourg, Lyon et j’en oublie plein d’autres. Du fait que la fédé de skate s’est bien structurée ces dernières années, je pense qu’ils seront de plus en plus impliqués dans les comités de pratiquants lors de concertation avec les villes, et donc les parks vont encore évoluer étant donné que la CNS a une grosse ambition de compétition dans son développement.

VOUS FAITES APPEL A DIFFERENTS FABRICANTS POUR COULER VOS CONCEPTIONS, CERTAINS SONT MEME BIEN REUSSIS COMME CARRY LE ROUET, COMMENT CHOISISSEZ VOUS VOS PARTENAIRES ? POURQUOI CERTAINS PARKS SONT FAIT PAR VULCANO ET D’AUTRES PAR LE PAYSAGISTE DU COIN?

Les marchés publics en France sont relativement bien organisés pour avoir une indépendance entre les villes, les architectes et les entreprises. Tout est plus ou moins bien codifié afin d’éviter tous problèmes d’entente et de corruption. Il va de soi que la ville passe un marché pour la conception, puis indépendamment un marché de travaux sur la base des plans d’architectes. C’est pour ça que nous ne travaillons pas avec une entreprise ou un autre. Nous sommes totalement indépendants, nous intervenons en phase travaux uniquement pour vérifier que ce qui est fait est conforme à nos prescriptions et plans (avec forcément quelques marges de tolérance elles-mêmes clairement stipulées). Il faut savoir que ces dernières années, les entreprises de constructions ont été comme nous pas mal chargées en travail et projets (dû notamment aux échéances électorales, mais aussi à l’essor du skate ces dernières années). En tant que concepteurs, nous ne pouvons pas faire tous les projets, nous devons faire des choix, et pour les entreprises de construction c’est pareil, elles doivent faire des choix. Nous ne choisissons pas les entreprises avec lesquelles nous travaillons même si nous avons nos préférences. Le choix de l’entreprise est basé dans les marchés publics sur des notes techniques et financières. Il s’agit d’une balance entre le prix et la technique. La moins chère des entreprises ne sera pas forcément celle retenue, mais la meilleure techniquement ne le sera pas également. Nous avons un rôle de conseil auprès des villes pour qu’elles choisissent la meilleure entreprise adaptée à leur projet.

 QUELLES SONT VOS INSPIRATIONS POUR DESIGNER LES PARKS ? TROUVEZ-VOUS DE L’INSPIRATION EN VOYAGEANT ET EN VISITANT DES SKATEPARKS À L’ETRANGER?

L’inspiration est un peu partout à vrai dire. On la trouve dans les vidéos de skate, la rue, les voyages, les parks qu’on voit ici et là, l’architecture en général, la nature, les paysages, etc… Tout est source d’inspiration que ce soit pour des concepts généraux que pour des détails et des formes particulières. 

QUEL EST VOTRE PARK PREFERE AU MONDE (DE VOTRE CONCEPTION OU NON) ?

Lauris : Ca va paraitre un peu chauvin mais personnellement j’aime beaucoup le skatepark de la Friche. Tu peux y faire des lignes à rallonge, on a fait quelques modifications dernièrement qui améliorent le park. Le park est assez complet en termes de street, situé à deux pas de la maison, avec tout ce qu’il faut autour (shop, bar, cafétéria, culture…). C’est un lieu dans son ensemble vraiment agréable à vivre et à skater. Mais faire un choix est compliqué quand même, des spots comme le bowl du Prado à Marseille sont encore incroyables quasiment 30 ans plus tard, des spots comme St Kilda à Melbourne sont vraiment cools aussi, ou des park comme celui de Luxembourg avec tout aussi, du tranquille à l’énervé…  

QUEL EST LA CREATION DONT VOUS ETES LES MOINS FIERS ET POURQUOI ?

C’est également un choix difficile à faire. Il faut savoir que dans tous les cas on a au moins la satisfaction d’avoir proposé aux locaux un spot. Mais c’est sûr que dans certains cas le site est vraiment peu qualitatif, genre le fin fond d’un complexe sportif, ou un champ de bataille en marge de la ville sans accès directs, aucun lien avec le reste, et ça c’est compliqué pour prendre du plaisir à faire un skatepark surtout si on combine ça avec une très faible ambition de la ville quant au projet. Plusieurs fois nous avons fait des projets qu’on pourrait appeler « alimentaires » sans grand intérêt, mais on essaie dans tous les cas de proposer un spot qui marche bien, et on se rattrape sur des projets bien plus intéressants avec un impact plus grand sur les skaters locaux, sur l’architecture et des concepts plus excitants. 

PAS MAL DE PARKS ESSUIENT DES CRITIQUES DE LA PART DES SKATERS SUR LE FAIBLE NIVEAU DE DIFFICULTE, LE MANQUE D’OBSTACLES INTERESSANTS, LA MOLLESSE DES COURBES OU ENCORE LA FADEUR DES COPINGS, ESSAYEZ-VOUS DE MILITER POUR CHANGER LA DONNE DANS LES PROJETS AUXQUELS VOUS PARTICIPEZ? GLISSEZ VOUS PARFOIS UNE BOUCHE D’INCENDIE PAR ICI, UNE MARGELLE PAR LA, OU UNE JERSEY BARRIERE DANS UN COIN, SANS VRAIMENT LE PRECISER AUX MAIRIES AU DEPART DU PROJET ?

Comme évoqué plus tôt, on répond souvent à une demande, cependant dans des endroits comme le Sud Est de la France où l’offre de skateparks est immense, on essaie quand même, quand on peut, de proposer des spots un peu plus engagés. Dernièrement à Beaucaire on a livré un skatepark. La commande était classique « On veut du street, du bowl ». Il s’agit là de spots qu’on trouve dans les 20km à la ronde. On a pris l’initiative de faire un hybride entre le street et le bowl, un peu comme Carry le Rouet, et un pool assez rade. Ce qui a été intéressant sur ce projet c’est que c’est Vulcano skateparks qui a construit et qui au-delà de leur qualité de constructeurs ont été aussi force de propositions sur certains point de conception en offrant également une autre vision et en proposant des adaptations qui leur semblaient intéressantes.

Quand on peut proposer quelque chose d’un peu plus engagé, ou différent (du wall ride, de la margelle, du pool, etc…) on le fait, mais ça n’est pas toujours évident. On est pas pour une standardisation des skateparks (c’est surement un peu pour ça que je ne suis pas attiré par l’aspect compétition du skate avec la SLS, Dewtour et compagnie), on reste une agence d’architecture qui a l’envie d’évoluer constamment, et donc de proposer des choses nouvelles tant sur des concepts généraux d’aménagement que sur les formes skatables proposées. 

PARTICIPEZ-VOUS PARFOIS À DES PROJETS DIY ? 

Lauris : Officiellement avec l’agence non. Mais tous à titre personnel oui. On a filé un petit coup de main financier pour le Labo DIY à Marseille (qui a été détruit depuis), qui était un spot DIY pas mal animé par un collectif de skateuses. Tous à titre personnel on a participé à du DIY à plus ou moins grande échelle, notamment en cette période bizarre de confinement où je pense fortement à construire un petit spot dans ma modeste cour. 

QUEL CONSEIL OU ASTUCE CONCRETE DONNERIEZ VOUS A DES GENS QUI FABRIQUENT DES SPOTS DIY EN BETON POUR AMELIORER LEURS CONSTRUCTIONS ? 

Lauris : Je ne pense pas avoir beaucoup de conseils à donner, si ce n’est que si tu construis avec du béton respecte les dosages en eau, renseigne toi sur les techniques de construction (internet regorge de blog, compte instagram de skate DIY), ne te coupe pas un doigt avec la scie sauteuse. Puis en termes de conception ne pas hésiter à demander, consulter les autres quand on a un doute. Ça n’est pas rare qu’on donne des conseils sur des dimensionnements à des particuliers qui nous contactent pour faire des DIY chez eux, et c’est avec grand plaisir qu’on y répond. Après surtout, fais ce qui te passe par la tête et tu verras bien, au pire du casses, tu modifies, tu refais. 

EST CE QUE VOUS BOSSEZ SUR UN PROJET ACTUELLEMENT ? C’EST QUOI L’AVENIR POUR CONSTRUCTO ?

On travaille sur plusieurs projets à la fois, des gros projets pour certains (Montpellier, Bordeaux, Albi, Gent…), des projets plus modestes pour d’autres mais avec des enjeux assez importants notamment à l’étranger (Equateur, Senegal, Ukraine, Maroc…) dans des régions où il y a pas ou très peu de skateparks de qualité mais quand même des communautés de skaters dans l’attente, tout ça en associant des techniques de constructions locales et des principes forts de respect de l’environnement existant, etc… On travaille aussi à proposer des espaces hybrides entre espaces publics et espaces skatables, ce qui est parfois compliqué à attendre pour les villes car la réglementation de l’espace public est différente de celle des skateparks, et ça engendre forcément quelques problématiques notamment de sécurité, mais il s’agit d’un domaine qui nous parait en tant qu’architectes important à creuser. Puis on travaille aussi sur quelques projets plus classiques un peu partout en France.  

Merci d’avoir répondu à ces questions, en espérant vous croiser prochainement sur un skatepark!

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